Quand un médicament perd sa protection par brevet, tout change. Les prix ne baissent pas légèrement - ils s’effondrent. Ce n’est pas une hypothèse, c’est une réalité observée des milliers de fois. En 2020, l’Eliquis, un anticoagulant vendu plus de 850 $ le mois, est devenu disponible en version générique aux États-Unis. Le prix est tombé à 10 $ le mois. Ce n’est pas un cas isolé. C’est la règle.
Comment ça marche ?
Les brevets pharmaceutiques donnent aux entreprises le droit exclusif de vendre un médicament pendant 20 ans. Pendant cette période, elles fixent les prix comme elles veulent. Pas de concurrence. Pas de négociation. Juste une seule source d’approvisionnement. Mais quand le brevet expire, tout bascule. Des fabricants de génériques entrent sur le marché. Ils n’ont pas à refaire les coûteuses études cliniques. Ils copient simplement la formule. Et ils vendent le même médicament à un prix bien plus bas.
Le premier générique arrive souvent avec une réduction de 15 à 20 %. Le deuxième, le troisième, puis le dixième ? Les prix s’effondrent. Selon une étude publiée dans JAMA Health Forum en 2023, huit ans après l’expiration d’un brevet, les prix aux États-Unis ont chuté de 82 %. En Allemagne, c’est 58 %. Au Canada, 48 %. En Suisse, où les prix sont régulés plus strictement, la chute est plus douce : 18 %. Mais même là-bas, les patients paient moins.
Le rôle des génériques
Les génériques ne sont pas des versions « moins bonnes ». Ils contiennent exactement le même principe actif, à la même dose, dans la même forme (comprimé, injection, etc.). La seule différence ? Ils ne portent pas le nom de marque. Et ils ne coûtent pas la même chose. La Food and Drug Administration (FDA) exige qu’ils soient aussi efficaces et sûrs que le médicament d’origine. Pourquoi alors les prix sont-ils si bas ? Parce que les génériques ne dépensent pas des milliards en publicité. Ils n’ont pas à financer des essais cliniques. Leur coût de production est minime.
Le système a été conçu pour ça. La loi Hatch-Waxman de 1984 aux États-Unis a créé un cadre pour que les génériques puissent entrer sur le marché plus vite, sans violer les brevets. Depuis, des milliards de dollars ont été économisés. Le Congressional Budget Office estime que les génériques et les biosimilaires économiseront 1 700 milliards de dollars au système de santé américain d’ici 2035. C’est une révolution silencieuse.
Les pièges : les « thicket » de brevets
Mais tout n’est pas aussi simple. Les grandes entreprises ne se contentent pas d’attendre que leur brevet expire. Elles le repoussent. Comment ? En déposant des brevets secondaires sur des détails minuscules : une nouvelle forme de comprimé, un nouveau mode d’administration, un dosage légèrement différent. C’est ce qu’on appelle un « thicket » - un buisson de brevets. Chaque nouveau brevet ajoute quelques années de monopole.
Le cas d’Humira (adalimumab) est emblématique. Le brevet de base a expiré en 2016. Mais AbbVie, le fabricant, a déposé plus de 130 brevets secondaires. Résultat ? Les génériques n’ont pu entrer sur le marché qu’en 2023 - sept ans plus tard. Même quand ils sont arrivés, les prix n’ont pas immédiatement chuté. Pourquoi ? Parce que les assureurs et les hôpitaux étaient liés par des contrats exclusifs avec AbbVie. Les patients ont dû attendre des mois pour voir une baisse réelle de leur facture.
Le même scénario se répète avec Ozempic et Wegovy. Le brevet de base expirera en 2026, mais plus de 140 brevets secondaires ont été déposés. Selon l’organisation I-MAK, la moyenne des « blockbuster drugs » accumule entre 10 et 15 brevets secondaires, étendant leur monopole de 12 à 14 ans au-delà du brevet initial. C’est un système qui protège les profits, pas les patients.
Les différences entre les pays
Les États-Unis sont les plus extrêmes. Leur marché est libre, mais aussi fragmenté. Les prix y chutent le plus - mais aussi le plus tard. En Europe, les prix sont négociés par les gouvernements. Le système de tarification de référence, utilisé en Allemagne, en France ou au Royaume-Uni, oblige les fabricants à justifier leur prix. Si un générique est plus cher qu’un autre médicament déjà sur le marché avec la même efficacité, il est automatiquement rejeté.
Le Canada a un système hybride. Les prix sont négociés au niveau fédéral, mais les provinces gèrent les remboursements. C’est pourquoi la chute des prix ici est plus modérée qu’aux États-Unis, mais plus rapide qu’en Suisse. En Suisse, les prix sont régulés par un comité indépendant qui fixe un prix plancher pour chaque médicament. Résultat : les génériques ne peuvent pas vendre moins cher que le médicament d’origine. C’est une protection des entreprises, pas des patients.
Les obstacles techniques
Entrer sur le marché des génériques n’est pas toujours facile. Pour les médicaments simples, comme les comprimés, l’approbation prend environ 10 mois. Pour les produits complexes - comme les biosimilaires (copies de médicaments biologiques, souvent injectables) - ça peut prendre plus de deux ans. Pourquoi ? Parce qu’il faut prouver que la structure moléculaire est identique. Cela coûte entre 2 et 5 millions de dollars par produit. Et les chaînes d’approvisionnement en ingrédients actifs sont souvent bloquées par des monopoles.
En plus, les pharmaciens ne peuvent pas toujours remplacer automatiquement un médicament par un générique. Dans 49 États américains, oui. Mais dans certains, le médecin doit spécifier « dispense as written » - c’est-à-dire : ne pas remplacer. Et pour les biosimilaires, les lois varient d’un État à l’autre. Ce qui veut dire qu’un patient peut avoir accès à un générique à Chicago, mais pas à Atlanta.
Qui gagne ? Qui perd ?
Les patients gagnent. Les systèmes de santé gagnent. Les assureurs gagnent. En 2023, une enquête du Kaiser Family Foundation a montré que 68 % des adultes assurés ont vu leurs frais de poche baisser quand un générique est entré sur le marché. Mais 22 % ont dû attendre des mois, parce que leur assurance a changé de formulaire. Parfois, le générique est disponible, mais pas couvert. Ou alors, il est sur une liste de « tier 3 » avec un ticket modérateur plus élevé. Ce n’est pas une question de disponibilité - c’est une question de politique.
Les entreprises pharmaceutiques perdent leur monopole, mais elles gagnent en stratégie. Elles déplacent leurs profits vers les nouveaux médicaments, les formulations, les indications. Leur objectif n’est plus de vendre un seul médicament - c’est d’exploiter chaque version, chaque dosage, chaque combinaison pendant 20, 25, voire 30 ans. C’est une logique d’entreprise. Mais ce n’est pas une logique de santé publique.
Et maintenant ?
Le changement est en cours. En 2023, la FDA a approuvé 870 génériques - 12 % de plus qu’en 2022. En Europe, la Commission européenne a proposé des limites aux certificats de protection supplémentaires. Aux États-Unis, le Congrès a lancé des enquêtes sur les « patent thickets ». Et en 2024, l’Agence européenne des médicaments a fixé un objectif : 70 % de part de marché pour les biosimilaires dans les trois ans après l’expiration du brevet.
Le principe est simple : plus de concurrence, moins de prix élevés. Mais le chemin est semé d’embûches. Les brevets sont censés encourager l’innovation. Pas la manipulation. Ceux qui paient les factures - les patients, les impôts, les caisses de santé - méritent mieux. L’expiration d’un brevet ne devrait pas être un combat juridique. Elle devrait être un moment de libération. Un moment où les prix tombent, où les gens peuvent se soigner, et où la santé devient une priorité, pas un profit.
Pourquoi les prix baissent-ils autant après l’expiration d’un brevet ?
Les prix baissent parce que la concurrence entre les fabricants de génériques fait exploser l’offre. Le premier générique réduit le prix de 15 à 20 %. Chaque nouveau concurrent ajoute de la pression. Avec dix ou plus sur le marché, les prix peuvent chuter de 80 à 90 %. Les génériques n’ont pas les coûts de recherche et de marketing des laboratoires d’origine, donc ils peuvent vendre à des prix bien plus bas.
Les génériques sont-ils aussi efficaces que les médicaments d’origine ?
Oui. La FDA, l’Agence européenne des médicaments et d’autres autorités sanitaires exigent que les génériques soient bioéquivalents : ils doivent contenir le même principe actif, à la même dose, et produire les mêmes effets dans le corps. Les études montrent qu’ils sont tout aussi sûrs et efficaces. La seule différence est le nom et le prix.
Pourquoi certains médicaments ne baissent-ils pas en prix après l’expiration du brevet ?
Parce que les entreprises utilisent des stratégies pour bloquer la concurrence. Elles déposent des brevets secondaires sur des changements mineurs (forme, dosage, méthode d’administration). Elles signent des contrats exclusifs avec les assureurs. Elles font pression sur les pharmacies pour qu’elles n’offrent pas les génériques. C’est ce qu’on appelle « evergreening ». Le cas d’Humira en est un exemple parfait : le brevet de base a expiré en 2016, mais les génériques n’ont été disponibles qu’en 2023.
Quelle est la différence entre un générique et un biosimilaire ?
Un générique est une copie exacte d’un médicament chimique simple, comme un comprimé d’ibuprofène. Un biosimilaire est une copie d’un médicament biologique - souvent complexe, comme une protéine produite dans des cellules vivantes (ex. : Humira, Ozempic). Les biosimilaires ne sont pas identiques à l’original, mais ils sont très similaires. Leur production est plus coûteuse, et leur approbation plus longue - jusqu’à deux ans.
Comment savoir si un médicament est devenu générique ?
Vous pouvez consulter le site de la FDA (en anglais) ou votre pharmacien. En général, le nom du médicament change : au lieu de « Eliquis », vous verrez « apixaban ». Le prix sera beaucoup plus bas. Si vous avez un abonnement ou une assurance, vérifiez votre liste de médicaments couverts. Parfois, le générique est disponible, mais pas encore remboursé.
Est-ce que les pays en développement bénéficient aussi de cette baisse de prix ?
Oui, mais plus lentement. Les pays à revenu faible ou intermédiaire ont souvent des systèmes de santé plus faibles et des règles d’importation plus restrictives. Cependant, les accords internationaux comme ceux de l’OMS permettent à certains pays de produire ou d’importer des génériques même si le brevet est encore actif dans d’autres pays - surtout pour les maladies comme le VIH ou le paludisme. C’est une exception, mais c’est vital.
Alexis Skinner
novembre 12, 2025 AT 14:05C’est fou quand même… 850 $ à 10 $, c’est pas une baisse, c’est un saut dans le vide 😱 Et pourtant, c’est juste du chimie, pas de la magie !
Romain Talvy
novembre 14, 2025 AT 09:52Je vois ça tous les mois à la pharmacie. Mon père prenait l’Eliquis original, on a dû attendre 18 mois avant que son assurance accepte le générique… et là, son ticket modérateur est passé de 70 à 5 €. Je ne comprends pas pourquoi ça prend autant de temps. C’est pourtant évident.
Alexandre Demont
novembre 14, 2025 AT 17:32On peut parler de « révolution silencieuse » si on veut, mais en vrai, c’est juste un système qui fonctionne quand les lobbies ne sont pas assez puissants. Les génériques, c’est bien, mais les vrais profits, eux, ils sont dans les biosimilaires et les nouvelles indications. Les labos, ils ne perdent jamais, ils déplacent juste la cible. Et les patients ? Ils sont juste des variables dans une équation financière.
Jean Bruce
novembre 15, 2025 AT 10:54Je suis content que ce sujet soit enfin discuté. Beaucoup pensent que les médicaments sont chers parce qu’ils sont « innovants »… mais non. C’est parce qu’on laisse des entreprises décider du prix de la vie. C’est inacceptable. La santé, ce n’est pas un marché.
Sandra Putman
novembre 16, 2025 AT 11:32En Belgique on a un truc bizarre les génériques sont pas toujours remboursés pareil et les pharmaciens te proposent pas forcément le moins cher genre j’ai demandé un générique pour mon anti-inflam et il m’a dit « c’est pas dans notre liste » bah pourquoi alors ????
Jordy Gingrich
novembre 16, 2025 AT 16:18Le modèle économique des Big Pharma repose sur une externalisation des coûts R&D vers le secteur public, puis une rente monopolistique via des brevets stratégiques. L’extension du monopole par des patent thickets constitue une forme de capture réglementaire, où les entités privées instrumentalise le système juridique pour maintenir des rentes de situation. C’est un cas d’école en économie de la santé.
Cybele Dewulf
novembre 18, 2025 AT 05:46Les gens pensent que les génériques sont moins bons parce qu’ils sont moins chers… mais c’est faux. Ils sont testés, approuvés, identiques. Si tu as un doute, demande à ton pharmacien. Il peut te montrer la fiche technique. C’est pas une question de confiance, c’est une question d’info.
Ludivine Marie
novembre 18, 2025 AT 14:05Ce que vous appelez « révolution silencieuse » est en réalité une dégradation systématique de la qualité de la santé publique. En permettant la production de génériques sans contrôle strict, on ouvre la porte à des produits de qualité douteuse, à des chaînes d’approvisionnement opaques, et à une normalisation de la médiocrité pharmaceutique. Le prix bas ne doit pas être le seul critère.
fabrice ivchine
novembre 20, 2025 AT 08:54Regardez les données de la FDA : 90 % des génériques ont une bioéquivalence à moins de 5 % du médicament d’origine. C’est statistiquement identique. Mais les médecins continuent de prescrire le nom de marque parce qu’ils sont conditionnés par la pub. C’est un problème de comportement, pas de science.
James Scurr
novembre 20, 2025 AT 20:26Je suis médecin. Je prescris des génériques depuis 15 ans. Mes patients sont plus contents, moins stressés, et ils prennent mieux leurs traitements parce que c’est abordable. Ce n’est pas une question d’idéologie, c’est une question de bon sens. La santé, c’est pour tout le monde, pas juste pour ceux qui peuvent payer 800 € par mois.
Margot Gaye
novembre 21, 2025 AT 22:53Vous oubliez que les brevets secondaires sont légaux. La loi Hatch-Waxman les autorise expressément. Ce n’est pas de la fraude, c’est de la stratégie légale. Si vous voulez changer ça, votez pour des réformes législatives, pas pour des discours émotionnels. La réalité est complexe, pas binaire.
Denis Zeneli
novembre 22, 2025 AT 11:33Je me demande si on ne confond pas innovation et profit. Un médicament qui sauve des vies, c’est une innovation. Un brevet qui empêche les gens de le prendre, c’est une perversion. La vie n’est pas un produit à maximiser. On a oublié ça. Et maintenant, on s’étonne que les gens soient malades…
Gabrielle Aguilera
novembre 23, 2025 AT 03:34Je viens de changer mon traitement pour un générique et j’ai failli pleurer de soulagement. Mon cœur, mes reins, mon budget… tout allait mieux. Et le pire ? Personne ne me l’a dit avant. C’est comme si on nous cachait un trésor. Pourquoi on ne nous parle pas de ça à l’école ? Pourquoi on ne le met pas sur les boîtes ? Parce que ça ferait trop de bien… et ça ferait trop de mal aux profits.
Valérie Poulin
novembre 23, 2025 AT 16:25Je travaille dans une pharmacie en banlieue. Chaque semaine, des gens viennent en larmes parce qu’ils ne peuvent plus payer leur traitement. Et puis un jour, un générique arrive… et tout change. Je les vois redevenir humains. Ce n’est pas juste de la pharmacie. C’est de la dignité qu’on leur rend.
Marie-Anne DESHAYES
novembre 25, 2025 AT 11:16Vous parlez de « libération »… mais avez-vous déjà vu les laboratoires qui produisent les génériques ? Des usines en Inde, des contrôles laxistes, des ingrédients douteux. Les patients ne comprennent pas : ce n’est pas une baisse de prix, c’est une baisse de sécurité. Et vous, vous êtes contents ? Vous êtes complices.